lunedì 15 maggio 2017

Barrage de Sarrans, construction, travaux, histoire. Le récit de l'ouvrier italien Giovanni Brescancin


Ce témoignage fait partie d'une interview plus détaillée effectuée par Camillo Pavan le 26 septembre 1994.

En 1929, lorsque à Ponte della Priula est passé le cyclone qui a abattu notre maison, tous les habitants d'alentour sont venus nous aider la rebâtir. Mais le matériau nous avons dû le payer et pour avoir l'argent pour payer nos dettes je suis parti en France comme ouvrier.
J'étais à bâtir un barrage au nord de la France [en réalité au sud du Massif Central]. Le patron était un certain Ferraro de Biella. Je lui ai dit carrément que j'avais besoin de cet argent pour payer mes dettes.
Nous étions six cents ouvriers, la plupart étaient des slaves mais il y avait aussi quelques compatriotes qui m'ont accusé d'être fasciste.
Un jour, j'étais là en chargeant des cailloux avec la fourche spéciale. Un compatriote arrive avec sa pioche et il me dit: «Ce soir nous aurons ta peau.» Dans la baraque-dortoir il y avait six lits d'un côté et six lits de l'autre côté par rapport à la porte, et mon lit était le dernier… Alors je suis allé dormir pendant trois nuits sur un cerisier. Le patron m'a demandé ce que j'avais. J'ai éclaté en sanglots lui racontant le fait. Lui, il a réuni tous les ouvriers, leur disant gare à eux s'ils m'avaient touché.
Mes compatriotes avaient dit que j'étais fasciste par l'envie, par méchanceté. Au fait c'était mon frère D. qui au village se vantait d'être fasciste dès le début, par conséquent en France ils s'en prenaient à moi.
Le barrage était situé dans le département de l'Aveyron et la ville la plus proche étaitRodès [Rodez] où on construisait des locomotives. Ce barrage s'érigeait entre deux montagnes.
Il y avait des concasseurs qui cassaient pierres et cailloux. À vingt mètres on entendait la terre qui tremblait. Nous ramassions des pierres et des cailloux d'une montagne — pauvre, sans arbres et d'une roche dure et noire — nous les chargions dans des wagons puis nous les portions dans les concasseurs.
L'entrepreneur nous disait que si on faisait plus de sept cents mètres par jours de bitume ça allait bien. Par contre si on n'atteignait pas l'objectif, alors il devenait méchant.
L'entrepreneur était petit, il venait de Biella. Il avait la moustache longue.
En France il y avait les paquets de tabac de soixante-dix grammes et quand l'entrepreneur était fâché car nous n'avions pas fait la quantité prévue de bitume, il se mettait à manger du tabac. Et moi je devais aller lui prendre le tabac. Chez lui, très vite. Il mordait le tabac puis il le crachait.
L'entrepreneur m'appelait Nani.
Il y avait une balance, une benne qui transportait le matériau de ça et de là par une corde très grosse en acier. Le patron l'utilisait lui aussi et il était tout content – quand il arrivait – si j'étais là et je le prenais dans mes bras. Quand le soir il avait fini son travail, vers six –sept heures, il sortait de son bureau et il me disait: «Nani il faut aller jusqu'à Sainte Geneviève (le village le plus proche) faire signer ces papiers».
De notre chantier au village c'était onze Km par les chemins muletiers. Au village il y avait le maire qui le matin enseignait à l'école et l'après-midi signait les papiers.
Quand j'arrivais je le trouvais au bistrot en face de sa maison où il jouait aux cartes. J'entrais à bout de souffle et lui il me disait:
«Qu'est-ce que vous voulez, Nani
«S'il vous plaît, voulez-vous me signer les papiers… » Il sortait son stylo et il signait les papiers.
Tout le monde m'appelait Nani et en français nani ce sont les haricots.
Le patron, l'entrepreneur s'appelait Ariosto Ferraro. Il avait une fille de quatorze ans et une autre de dix.
Le travail était projeté pour une dépense de quatre-vingt-quatorze millions.
Un soir on a organisé un dîner et le patron m'a invité au dîner. À table j'étais entre Ferraro et un ingénieur hollandais qui représentait ceux qui avaient financé la construction du barrage. À un certain point l'ingénieur hollandais m'a demandé d'où je venais et je lui ai dit que j'étais italien, de Trévise, du Piave. Lui il m'a demandé ce que le gouvernement italien nous avait donné à cause du cyclone, et je lui ai répondu "rien". Comment rien? s'est-il étonné … que nous les hollandais, notre pays, a donné à l'Italie un financement de vingt-cinq pour cent des ravages faits par le cyclone?
Au moment du cyclone moi j'étais marié et j'avais un enfant. On m'a donné trois petites boîtes de viande des soldats, trois miches des soldats et une couverture encore des soldats, laquelle si tu te couvrais le dos, tu ne te couvrais pas les pieds et vice versa. Le cyclone est venu en automne de mil neuf cent vingt-neuf.
La rivière sur laquelle on bâtissait le barrage s'appelait La Truyère. C'était un canal d'une profondeur de deux mètres environ dont l'eau, qui descendait des montagnes, poussait bien.
Ce barrage faisait cent soixante mètres [!] de haut et cent quatre-vingt de pied. Il surmontait l'eau de vingt mètres et le lac reculait pour quarante kilomètres…
Pendant que mon patron mangeait, moi je nettoyais ses chaussures et parfois je parlais avec lui. J'étais comme son soldat ordonnance.
Un jour je lui ai demandé ce qui pourrait faire abattre le barrage. Il m'a répondu qu'on devrait réunir beaucoup de bouteilles de gaz et ensuite les faire exploser toutes ensemble. Le coup de l'explosion ferait reculer l'eau qui après retournerait en renversant le barrage.
Je suis resté là jusqu'à quand le barrage était presque terminé.
L'entrée de l'eau qui allait aux turbines était large de 12 mètres. Par contre l'espace où elle entrait pour faire courant aux turbines était large de trente-cinq centimètres. Imaginez-vous, par le saut que l'eau devait faire, la vitesse de descente: elle produisait de l'écume.
Des allemands sont venus installer les trois turbines. Ils disaient qu'une turbine à elle seule pouvait illuminer tout Paris.
Ces Allemands en été comme en hiver étaient toujours habillés en cuir. Des hommes grands, gros, lourds. Moi j'étais là et je les regardais, mais je ne soufflais pas mot; eux ils me regardaient toujours par le dos…
Je suis resté là tant que j'ai payé mes dettes.
Pour arriver chez moi en Italie il fallait trois jours et trois nuits de train. Le patron occupait tout un compartiment sa famille et lui (deux filles et un fils âgé de deux –trois ans). Moi j'étais dans le même wagon et je devais surveiller leur valise avec les documents etc. C'est ainsi que je suis revenu en Italie trois fois avec eux. On se quittait à Turin et je continuais pour Trévise.
Les français de cette zone ont de gros pains de deux – trois kilos. Je me rappelle qu'une fois je suis allé préparer leur maison car le patron devait retourner chez lui. Là-dedans j'ai vu un de ces gros pains et je l'ai mangé tout.
Quelque fois j'allais à la messe à Sainte Geneviève. Il fallait deux heures pour aller et deux heures pour retourner.
Une fois on a appuyé le grillage sur la bouche de l'entrée de l'eau qui fait tourner les turbines. C'était des plaques en fer en forme de grillage. On a appuyé ces plaques sur des poteaux et des ouvriers sont descendus pour enduire du goudron. Les appuis qui soutenaient ces plaques ont glissé et six ouvriers sont tombés dans les turbines: les six ouvriers sont morts, réduits en petits morceaux.
J'étais dans un tunnel à travailler avec un portugais. Il me disait que déjà il avait travaillé suffisamment et il avait gagné assez d'argent. Il allait donc retourner chez lui. Pendant qu'il marchait au bord du tunnel, une grosse pierre est tombée du haut de la montagne et l'a pris sur la tête le tuant à l'instant.
J'en ai vu plusieurs mourir. Alors j'ai dit à Ferraro:
«Monsieur Ferraro, il me semble qu'ici tant de personnes y laissent la peau.»
«Eh, Nani» il m'a répondu «avant de commencer ce travail nous avions prévu combien d'ouvriers pouvaient mourir… »
Ils avaient envisagé un numéro x d'ouvriers qui seraient morts!
Où il y avait les bétonnières qui faisaient le ciment j'ai vu un caillou tomber et enlever le talon d'une chaussure d'un ouvrier.
J'ai vu ceux qui travaillaient sous les couloirs d'où descendait le ciment. Ils avaient tous leur casque sur la tête. Un caillou est tombé sur la tête d'un ouvrier. On ne pouvait plus lui ôter le casque: le fer du casque s'était planté dans le crâne. Je ne sais pas qu'il est devenu, on l'a transporté à l'hôpital.
Il y avait un ouvrier qui enduisait du godron sur le mur du barrage pour que l'eau n'érode pas le mur. Il était suspendu au bord du vide et deux camarades le déplaçaient par un moulinet. On ne sait pas comment – l'engrenage qui tenait le moulinet a cédé ou bien – l'ouvrier a fait un saut de près de trente mètres. Je l'ai vu tomber sur un tas de sable comme un obus. On a vu le sable rejaillir en haut. Celui-là aussi a été pris et envoyé à Rodès
Bref, quand un ouvrier se faisait du mal il était porté à l'hôpital et on ne savait plus rien.
Nous étions six cents ouvriers. Il y avait surtout des slaves de la Yugoslavie, puis il y avait des marocains, des espagnols, des portugais. On travaillait par postes de huit heures. Deux cents personnes chaque équipe. Jour et nuit avec des réflecteurs.
Et je suis resté en ce lieu quatre ans!
Traduit par Osvaldo Buosi
Giovanni Brescancin (1906-2005) est né et a vécu à Ponte della Priula – Trévise.

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